mardi 29 novembre 2016

Deux définitions du mouvement littéraire spiraliste

Nous réunissons pour vous ici, deux définitions du spiralisme par les théoriciens de ce mouvement, deux textes qui doivent entrer dans l’histoire de la littérature haïtienne pour toute étude de ce mouvement.

Préface d’Ultravocal par Frankétienne :

Narration. Description. Monologue. Rumeur de voix. Personnages ballottés entre la vie et la mort, dans l’éparpillement du texte. Vatel, condamné à l’errance. Mac Abre, l’incarnation du mal. Le poète, prisonnier de son délire. Et surtout, vous lecteur, complice du jeu terrible de l’écriture ; vous dont la participation conditionne l’existence du livre.

La production littéraire ne vaut que par la lecture créatrice, celle qui a pour tâche d’agencer, à travers une relative ambiguïté, les divers éléments structuraux de l’ouvrage. Brassage des infinis matériaux du langage. Fonctionnement complexe des métaphores et des symboles dans l’enchevêtrement musical des signes, puisque même le silence fait partie de l’œuvre.

Chacun des « espaces blancs » représente une porte ouverte, une rupture de séquence. Et le montage des différents segments du texte est laissé au choix du lecteur qui dispose alors d’une absolue liberté constructive face à l’éventail infini des combinaisons. L’œuvre équivaut alors à un pré-texte (à motivation plurielle) selon le cheminement de la lecture, selon la succession des paragraphes.

Massif montagneux à plusieurs versants, la Spirale constitue un continuum spatio-temporel dont les éléments d’appartenance sont susceptibles de permutation, de translation, d’extrapolation.

Plans mobiles. Axes variables. Rien n’est imposé au lecteur qui peut ainsi évoluer, dans l’espace du livre, sans être contraint d’observer un itinéraire préétabli. Dans un tel cas, la pagination ne sert que de système de repérage ; elle ne définit pas l’ordre de la lecture. Le titre n’est qu’un indice problématique à résonances multiples. Et il est souhaitable que le nom de l’auteur figurant ordinairement sur la couverture, loin de se ramener à l’équivalent d’une étiquette de marchandise, se vide de son contenu mythique, se dépouille d’on ne sait quel hypothétique prestige, et cesse enfin d’être l’objet d’un certain fétichisme.

L’œuvre n’appartient à personne ; elle appartient à tout le monde. En somme, elle se présente comme un projet que tout un chacun exécutera, transformera, au cours des phases actives d’une lecture jamais la même. Le lecteur, investi autant que l’écrivain de la fonction créatrice, est désormais responsable du destin de l’écriture.

Frankétienne

Dialogue à bâtons rompus sur le spiralisme, entrevue accordée par Jean Claude Fignolé à Dieudonné Fardin :

Il faut voir d'abord dans le spiralisme un effort de renouvellement de la littérature haïtienne. Depuis l'indigénisme, rien ou presque rien n'a été entrepris en ce sens. Si bien que de nos jours, bon nombre d'écrivains haïtiens se réclament de tendances littéraires épuisées et que des critiques utilisent toujours l'indigénisme comme code de référence pour juger les productions actuelles. Or l'indigénisme est dépassé. Il avait correspondu à une réalité sociale, politique, économique et même militaire : l'occupation américaine. Sans doute, cette réalité continue de marquer notre existence. Depuis 1915, n'assiste-t-on pas à une américanisation progressive de notre manière de vivre ? Mais, de 1915 à nos jours, il y eu les deux guerres mondiales, la guerre de Corée et les deux guerres d'Indochine. Et surtout, le surgissement - j'emploie ce mot à dessein plutôt que décolonisation - des peuples colonisés d'Afrique, d'Asie à l'indépendance. Notre quête d'identité ne peut plus se poser en termes de repli sur nous-mêmes travers un africanisme de convention. Mais en termes d'ouverture sur le Tiers-monde, de solidarité avec le Tiers-monde. 

Au niveau strictement théorique, nous avons choisi de suivre le roman moderne dans son refus de l'unicité de l'action. Parce qu'une telle démarche est conforme à notre conception d'un genre total : ni roman, ni poésie, ni théâtre, mais les trois à la fois. Cette conception n'est pas étrangère. Elle est haïtienne. Donne-toi la peine d'aller à la campagne. Si par chance les paysans se réunissent sous la tonnelle pour tirer des contes en ta présence, tu t'en convaincras facilement. La structure narrative des contes est souvent éclatée (excusez-moi d'employer ce verbe à la voix passive, mais cette tournure inusitée rend mieux mon idée). Le conte devient théâtre et spectacle (dialogues, chants, danses). Les auteurs interviennent, coupent le récit en des improvisations en dehors du récit - nous les appelons fugues - par où se révèle le génie poétique et inventif de nos paysans. Il y a comme une participation des auditeurs hors des limites du récit et qui interdit, par là même, le développement linéaire du récit. 

Nous croyons qu'il est nécessaire de prendre de l'occident les éléments positifs de sa culture et de les intégrer, en les humanisant, à notre propre culture.

Je pensais au Japon qui a assimilé la science et la technique de l'Occident pour les mettre au service de son développement mais qui n'a pas su éviter l'écueil de l'aliénation et de la déshumanisation de l'économie capitaliste. 


Jean Claude Fignolé